It's time to be a man or sort of... [Beowulf]

Hapès. Ces grandes tours blanches, cet horizon lointain et irréel, ce ciel à moitié bleu et à moitié gris, voilà bien où le garçon avait passé toute sa vie. Il en avait passé, des heures à regarder au loin, à travers les vitres qu’il peinait parfois à atteindre. Âgé d’à peine une décennie, il n’était pas très grand en taille, et était souvent contraint à se hisser sur ses pieds pour voir plus loin, guetter cet horizon qui le faisait rêver. Combien d’histoire s’était-il déjà imaginé en observant ces vaisseaux de la Résistance ? Ils venaient, partaient, tous différents, avec des couleurs, des drapeaux…

Son histoire préférée était celle d’un vaisseau, petit et semblable à tous les autres. Cependant à son bord se trouverait un homme extraordinaire qui voyagerait à travers l’entière galaxie, secourant les gens, punissant le Premier Ordre, et tout ça avec des pouvoirs sensationnels et une volonté sans faille ! De véritables justiciers, qui ne cherchaient jamais à devenir célèbres ou à attendre des remerciements. Sa nourrice Winter lui avait souvent raconté ce genre d’épopée, se basant très certainement sur des histoires romancées d’Han Solo, mais Anakin était un jeune garçon plein d’idéal, rempli de rêves et d’espoirs. Oh comme il aimerait devenir cet homme, voyager partout, apporter son aide à ceux qui en ont besoin… Être un héros. Tout simplement. Après tout, ses parents n’étaient-ils pas des héros eux-mêmes ? Et son oncle ? Tous étaient inscrits dans la légende, il n’existait pas un Résistant dans toute la galaxie qui n’ait pas entendu parler de Skywalker ou de Solo !

Cela pouvait sembler ironique, voire déplacé, que le garçon nommé comme son tyran de grand-père puisse ainsi rêver d’héroïsme. Ils étaient encore nombreux, ceux qui voyaient Anakin comme une réincarnation, un héritage de Vador… Dès son plus jeune âge, il avait dû s’y habituer et ignorer ce qu’on disait dans son dos.

Dans un premier temps, pourquoi sa mère l’avait-elle nommé ainsi ? Par provocation ? C’était réussi ! Non seulement Anakin avait grandi en étant la cible parfaite à cause de son ascendance, mais il fallait en plus donner davantage de légitimité à ses ravisseurs en le nommant comme le tristement célèbre Anakin Skywalker ! Il n’était pas étonnant après ça qu’il fallait presque enfermer le garçon pour le protéger. Là était sans doute le rôle de Winter, sa nourrice depuis ses plus jeunes années. Sans compter les soldats qui se trouvaient derrière chaque porte, « au cas où »… Oh ils n’étaient pas méchants, Anakin avait même été plusieurs fois parlé avec eux ! Ils étaient simplement… sérieux. Droits. Rigides. Comme Leia. Comme tout le monde. Ou presque : la présence de sa sœur Jaina lui sauvait la vie.

Ce jour-là, le garçon avait décidé de faire le mur.

Voilà bien la première fois qu’il prenait une telle décision… et ce ne serait pas la meilleure de sa vie, il en avait conscience. Mais comment pourrait-il voyager comme il en rêvait s’il n’avait même pas le courage de quitter sa maison ? Hapès semblait si grand, et il restait bloqué là. Le garçon était si curieux, si pressé de faire ses propres expériences… Il avait attendu la relève des gardes et une brève absence de Winter et de Jaina pour s’éclipser rapidement, discrètement. Se coller contre les murs, traverser les couloirs à pattes de loup, remercier sa petite taille de lui permettre de se cacher facilement… Le garçon arriva bientôt dehors. Dans les rues bondées de monde, tous aussi pressés les uns que les autres, et on ne faisait même pas attention à lui. Tant mieux ! Échapper au regard de cette foule aurait été peine perdue de toute façon.

Très vite, l’angoisse au ventre qu’il avait ressenti en s’enfuyant s’envola. Il était là, dehors, à simplement marcher parmi les gens. Comme s’il n’était rien, finalement ! Et c’était tout ce qu’il avait toujours demandé. Être rien. Ni Vador, ni l’enfant de Leia et de Han, juste un garçon ordinaire qui faisait ses premiers pas dans la vie, la vraie. Un large sourire naquit peu à peu sur son visage, posant son regard sur absolument tout ! Il se laissait tout simplement guider par les gens, passant devant énormément de petits commerces, des petites boutiques vendant des babioles plus inutiles les unes que les autres… Ah, si seulement il avait un peu de sous, il aurait certainement acheté ce cube rebondissant !

À force de marcher et de suivre des passants au hasard, à se perdre complètement, il arriva dans des rues plus petites, un peu plus sombres aussi… jusqu’à entrer dans… dans quoi, au juste ? Des néons de couleurs entouraient la porte, prenant la forme de femmes. Ah, heureusement qu’elles n’étaient pas réelles : se cambrer comme ça aurait pu être douloureux ! On ne fit même pas attention à lui quand il arriva à l’intérieur, même si visiblement cela ne semblait pas être un endroit pour les enfants comme lui. Il y avait tant de monde, surtout des hommes, et ils étaient bruyants. Des odeurs très fortes se faisaient sentir, Anakin fit une légère grimace en se rendant compte que ça venait de boissons qu’on servait. Tout ça ressemblait à un bar, mais certainement pas comme ceux qu’il imaginait ! Un peu perturbé par ce fossé avec ce qu’il avait en tête, il vint percuter sans faire attention un alien qui lui non plus ne l’avait pas vu.

« P-Pardon monsieur ! » s’empressa-t-il de dire en se relevant, avant de se rendre compte que cet alien était complètement fait. L’alcool avait certainement eu raison de lui depuis un bon moment, si bien qu’il ne se rendait même pas compte des pièces qu’il faisait tomber.

Anakin les avait ramassées et les lui tendit, mais il s’éloignait de plus en plus.

« Monsieur, votre argent… ! »

Rien à faire, il avait complètement disparu dans la foule, et sa voix se perdait immédiatement dans le brouhaha ambient. Ah, le voilà bien, avec de l’argent qui ne lui appartenait même pas. Ses bonnes manières exigeaient qu’il aille les rendre, mais comment aurait-il pu ? Et il avait si soif maintenant… Se glissant parmi le monde au comptoir, il tendit les mains pour se faire voir.

« Qu’est-ce que je peux faire pour toi, p’tit gars ? » lui demanda finalement un des hommes qui tenait le bar, tout en riant à moitié de voir un client si petit.

« Vous auriez du… lait bleu ? »

Il ne s’attendait pas qu’on rit ainsi sur sa demande. Peut-être que c’était trop enfantin, trop mignon… Qu’y pouvait-il s’il n’y avait que ça qu’il avait le droit de boire chez lui ? Bien qu’il rougissait plus de honte qu’un homard, il décida de prendre tout de même son courage à deux mains.

« Ou… Ou autre chose… De plus fort ! » bégaya-t-il, ne faisant que répéter ce qu’il avait entendu ici et là sans avoir la moindre idée de ce qu’il demandait.

Le garçon sursauta. Cette voix était si grave et si forte, si proche aussi… Il leva les yeux avec une grande hésitation vers cet homme corpulent qui venait de s’adresser à lui. Grand, fort, il avait au moins trois armes à la ceinture et rien que voir ça, Anakin avalait très nerveusement sa salive avant de se mordre les lèvres.

« J-Je… »

Ce fut tout ce qu’il arriva à dire. Bon sang, où était passé sa voix ? Elle s’était enfuie à l’instant où on avait fait attention à lui. Lui qui aurait préféré continuer à rester invisible, c’était raté… D’un autre côté, comment aurait-il voulu qu’on ignore un gosse dans cette foule pleine de testostérone ? Il n’était clairement pas à sa place, c’était parfaitement évident. Il ne suffirait que d’un éclat pour qu’il se fasse entrainer malgré lui dans une bagarre et qu’il se fasse écraser. Ou bien encore qu’on veuille profiter de son jeune âge et de son ignorance.

Le regard du garçon se baissa lentement jusqu’à arriver sur cette lame que le mandalorien n’avait pas encore eu le temps de ranger. Il eut un frisson d’effroi quand il se rendit compte du liquide sombre qui restait.

« C’est… du sang… ? »

Il n’en avait jamais vu sur une arme. Pensez-vous, Leia avait veillé qu’il ne s’approche jamais trop près des zones de tension ! Gardé, protégé, Anakin avait grandi dans une bulle d’ignorance. Son appréhension redescendit d’un cran quand un verre arriva devant lui. Avec un liquide blanchâtre à l’intérieur que le garçon n’identifiait pas vraiment.

« Il n’y a pas de lait bleu ici, p’tit. C’est c’que j’ai d’moins fort ! »

Répondant un petit « hm » timide, l’enfant posa les quelques pièces sur le comptoir avant de venir prendre le verre et le renifler un peu. Immédiatement, cela n’y manqua pas, il eut une grimace de dégoût. Qu’est-ce que c’était que ce machin ? Il n’avait jamais rien vu de pareil… ! Malgré tout, il trempa ses lèvres, peut-être que le goût était différent… meilleur… Ah, grossière erreur ! C’était pire !

« Bwaah ! » s’exclama-t-il en reposant de suite le verre sur le comptoir.

Il avait certes soif, mais ça, c’était imbuvable ! Heureusement que le barman ne l’avait pas vu, il n’aurait peut-être pas apprécié que son verre soit ainsi rejeté. Et le mandalorien ? Il allait rire, non ? Lui avait une bouteille entière d’alcool ! On pouvait vraiment boire tout ça sans exploser ?

« Je… En fait, je ne sais pas trop comment je suis arrivé ici… » expliqua-t-il avec une petite voix, comme s’il s’excusait. « Et j’avais juste soif… Vous êtes qui, vous ? Vous êtes de la Résistance aussi ? »

Anakin suivait le mandalorien sans se poser davantage de questions. Il ressemblait peut-être à un bébé canard suivant sa mère dans ce flot de gens, mais ça valait mieux que de se faire marcher dessus ! Certes, cet homme était effrayant. Il ressemblait à un ours prêt à se jeter sur le moindre type qui aurait eu le malheur de le regarder de travers… Mais eh ! Ne venait-il pas de lui donner une gourde ? Ce n’était peut-être pas grand-chose, mais pour le garçon, cela signifiait beaucoup ! Il la garda dans ses mains, prenant soin à ne pas la faire tomber – et faisant très attention à rester derrière ce tas de muscles, caché dans son ombre, ne sait-on jamais – jusqu’à arriver à une des tables.

En une seule phrase, cet homme venait de libérer une table entière ! C’était… wow ! Aucun homme de sa connaissance n’aurait réussi à faire ça. Ou peut-être son père… mais il était loin. Trop loin, depuis trop longtemps, comment savoir s’il en aurait été capable ?

Le garçon prit alors place, posant la gourde sur la table sans quitter le mandalorien des yeux. Il y avait quelque chose chez lui qui l’impressionnait réellement, en même temps qu’il lui faisait peur. C’était peut-être cette violence, cette brutalité qu’il ne connaissait que dans les récits héroïques que le garçon écoutait parfois. Lui à côté… Ah, il ressemblait à une crevette. Même pas capable d’avoir les pieds qui touchaient le sol une fois installé sur le siège !

Il but une gorgée d’eau, d’abord avec un peu de méfiance, puis après s’être rendu compte que c’était réellement de l’eau, il l’avala à grandes gorgées. Presque toute la gourde y passa. Oh comme cela faisait du bien ! Anakin soupira d’aise avant de reposer la gourde sur la table.

« Merci beaucoup monsieur… ! »

Il ne se rendait peut-être pas combien ça lui faisait du bien. Sentir sa gorge hydratée, et puis ne serait-ce que recevoir de l’aide… ça lui faisait plaisir. Assez pour avoir un sourire reconnaissant sur les lèvres !

Apprendre qu’il était un chasseur de prime fut une surprise. Enfin, il s’en doutait, mais tous les mandaloriens étaient des chasseurs de prime ? Vraiment tous ? Cela expliquait ses armes, son casque… Et le garçon perdit rapidement son sourire. Et s’il… était venu pour lui ? Sa mère lui avait déjà dit que des gens voudront s’en prendre à lui, parce qu’il est le petit-fils de Vador, parce que certains croient en la réincarnation du célèbre Sith simplement parce qu’ils partagent le même prénom… Et s’il était là pour ça ? Pour lui ?

Non, non… cela n’avait pas de sens. Il n’avait aucun moyen de savoir qui il était, n’est-ce pas ? Et puis s’il posait la question, c’était alors qu’il ne connaissait pas la réponse. Sinon, quel serait l’intérêt de demander ? Il releva le regard vers l’homme en face de lui, et se pinça légèrement les lèvres.

« Mes… mes parents sont… »

Allez Anakin, réponds ! Réponds où il se doutera de quelque chose !

« Ils ne sont pas là, ils ne savent pas où je suis… J-Je me suis enfui… »

Le dire à voix haute le rendait particulièrement honteux. Oh ils devaient se faire un sang d’encre ! Il ne faudra pas longtemps avant que Leia ne se rende compte que son fils avait disparu, vu la surveillance qu’elle avait mis en place. Et Winter ! Winter ce serait pire ! C’était elle qui l’avait pratiquement élevé, avec sa sœur…

« Vous êtes… vous êtes en mission, monsieur ? Vous… chassez quelqu’un ? »

Toutes ces questions… Elles étaient légitimes, bien sûr ! Évidemment qu’il voudrait savoir qui il était, pourquoi il s’était ainsi enfui de chez lui. Ce n’était pas courant, un enfant seul dans ce monde d’adultes. Et pourtant, Anakin redoutait réellement de répondre à ces questions. Qu’est-ce qu’il dirait ? Penserait ? Ou pire ! Qu’est-ce qu’il ferait ? Ce n’était pas comme s’il était le fils de marchands du coin, non simplement le rejeton de la générale de la Résistance, et le pirate le plus célèbre de la galaxie. Rien que cela… Aucune chance pour que Beowulf ne connaisse pas Han Solo ! Plus personne n’ignorait ce nom. Ou celui de Leia. Ou celui d’Anakin.

« Pardon monsi- Beowulf… »

Ouf, ce n’était pas passé loin… ! Encore un peu et il l’appelait une nouvelle fois « monsieur ». Il n’eut cependant pas le temps d’en dire davantage, Beowulf se retourne vers le barman pour exiger du saucisson. Exiger ? Mais… Mais ! L’homme derrière le comptoir partit même en chercher. C’était réellement possible, ça ? Et puis le mandalorien reposa son regard sur lui, Anakin eut un frisson. Oh il avait un mauvais pressentiment ! Cela se renforça en voyant l’homme revenir déposer le saucisson. Cela ne devait pas être suffisant, car Beowulf se leva et avant même qu’Anakin eut le temps de réagir, il cogna sèchement et durement le crâne de cet homme avec sa propre tête.

Ça lui coupa le souffle. Incapable de réagir, incapable de regarder ailleurs, incapable de réfléchir. Le barman avait hurlé, le garçon ne pouvait même pas imaginer ce que ça ferait. Le cœur battant à toute allure, il peinait réellement à retrouver un rythme respiratoire respectable. Et le chasseur de prime, lui, il se mettait à couper des rondelles comme si de rien n’était. C’était… normal pour lui ? Comment est-ce que ça pouvait être normal ? Comment pouvait-il se mettre à manger comme ça ? Il avait beau pousser la planche vers lui, après un tel spectacle, le garçon ne pouvait simplement rien avaler. Il était complètement blême…

Des problèmes d’adulte ? Est-ce que c’en étaient réellement ?

« Pourquoi avez-vous fait ça… ? Il ne vous a rien fait ! »

C’était injuste, gratuit… Et il avait été élevé avec la pensée tenace que la violence n’était jamais une solution. Le dialogue, la paix, la négociation, voilà ce qui apportait réellement ses fruits. Mais une telle brutalité… non, hors de question !

Pendant un instant, quand le mandalorien glissa sa main dans sa poche, Anakin sentit une boule dans son ventre. Mais finalement, ce n’était qu’un sachet… Qu’est-ce que c’était que ça ? Des champignons ? D’ordinaire ça ne se mangeait pas comme ça, si ? Et voilà qu’il reposait une nouvelle fois sa question… Il y tenait.

Que devait-il faire ? Esquiver ? Mentir ? Non, non… Il en était incapable, après tout. De sa vie il n’avait jamais menti, et s’il le faisait là, il craignait ce qui arriverait. Est-ce que lui aussi se ferait frappé de la sorte ? Ou pire ? Il inspira et expira profondément, rassemblant le peu de courage qu’il avait.

« Anakin. Je… Je m’appelle Anakin. »

Il le regardait, terrorisé et en même temps, il guettait. S’il devait s’enfuir, il n’aurait pas de deuxième chance ! Sa mère, sa sœur, Winter… tout le monde l’avait prévenu.

« Vous… me connaissez ? »

Qu’est-ce que cette histoire de saucisson allait à faire dans cette histoire ? Le jeune garçon se pinça les lèvres sans comprendre l’intérêt de cette excuse. Était-ce seulement une excuse ? Beowulf ne semblait pas très désolé de tout ça ! Ne cessant les rapides regards en direction de ce barman, il ne voulait pas non plus perdre du regard cet homme qui semblait être… dangereux. Malgré tout, le regard que lui portait sur le garçon n’était pas menaçant, au contraire c’était presque… sympathique. Avalant nerveusement sa salive, il se risqua à prendre une tranche de saucisson, sans quitter Beowulf des yeux. Il n’était pas habitué à ce goût : après tout, il ne mangeait pas beaucoup de viande là où il vivait. Mais ce n’était pas désagréable. Juste un peu étrange… tout ce gras, et cette sensation de salé.

« Ce n’est pas une raison… » fit-il, d’une voix un peu plus basse. « Vous ne l’avez même pas payé… »

Il lui restait deux petites pièces qu’il n’avait pas encore dépensées… Ça ne valait pas un saucisson entier, mais au moins la tranche qu’il a pris. Il déposerait ça plus tard sur le comptoir, il ne fallait juste pas l’oublier !

L’entendre dire son nom l’avait angoissé en un instant. Et si jamais… il savait ? Il le fixait, comme paralysé en attendant sa réaction. Et finalement, le verdict tomba. Ça ne semblait rien lui dire, à en entendre sa réponse. Soupirant discrètement de soulagement, le garçon retrouva une ombre de sourire. Oh comme ça lui faisait plaisir de rencontrer quelqu’un qui ne faisait pas le rapprochement avec sa mère, sa famille ou Vador !

« O-Oui, je… Oh non, les filles c’est… haha, non… »

Il rougissait à vue d’œil en évoquant les filles. Anakin restait un grand timide, rougissant pour énormément de choses. Et puis, c’était la première fois qu’on disait que son nom devait plaire aux filles… quelque part, ça le flattait. Et secrètement, ça lui plaisait.

Ne se doutant de rien, un plus large sourire décora son visage en voyant cette main se tendre vers lui. C’était idiot, mais ce geste amical, bien que venant d’une personne plus que violente comme lui, ça lui réchauffait le cœur. C’était presque comme s’il se faisait un ami, et on l’avait tellement bercé avec des histoires de camaraderie qu’il avait toujours espéré rencontrer ce genre de personne. Que ce soit Beowulf était une vraie surprise en soit, jamais il n’aurait pu l’imaginer, mais tant pis ! Il attrapa la main du mandalorien avec la sienne, bien plus petite et bien moins abimée.

« C’est la première fois que je fais une poignée de main à quelqu’un ! » s’exclama-t-il, plus que ravi. « Dites, est-ce que vous avez un vaisseau spatial ? Vous avez déjà voyagé dans la galaxie ? Ça doit être formidable de pouvoir aller où on veut, avec son propre vaisseau, comme le Faucon Millenium. Ça doit être… wouah ! »

Alors… il allait finalement payer tout ça ? D’un coup, Anakin se sentit stupide de s’être emporté si vite sans réfléchir à cette éventualité. Après tout, ils venaient juste d’arriver… Enfin, ça n’excusait toujours pas le coup que ce barman avait reçu, cela semblait purement gratuit. Le garçon jeta un nouveau regard furtif vers le comptoir, puis fit revenir ses yeux sur la table, une expression légèrement soulagée sur le visage. Cela sonnait certainement idiot, mais parler de l’école l’apaisa un peu plus : voilà au moins un sujet qu’il connaissait, et même si Beowulf l’avait évoqué pour en rire, cela fit un peu plaisir au garçon qui le prit au pied de la lettre.

« E-Eh bien... Des mathématiques, ce genre de chose… »

Hum, après réflexion, ce n’était sûrement pas la question qu’il posait. Il ne s’en rendit compte que trop tard, et se pinça encore une fois les lèvres de nervosité.

« En fait, je ne vais pas à l’école, j’ai… une gouvernante… C’est elle qui me fait la classe. »

Ce n’était pas comme s’il côtoyait beaucoup d’autres enfants, finalement. Les adultes préféraient le garder dans un cercle très fermé par crainte du Premier Ordre. Sa position de fils de Leia, ainsi que sa sensibilité à la Force faisaient de lui une cible toute trouvée pour quiconque voudrait rentrer dans les petits papiers du Leader Suprême Snoke. Et pourtant, voilà qu’il avait réussi à s’enfuir brièvement de leur vigilance et qu’il se retrouvait là, à écouter les histoires d’un requin de la galaxie ! À l’instant même où il avait ouvert la bouche pour raconter ses périples, Anakin se scotcha à ses mots comme si plus rien ne comptait. Des aventures épiques, aux quatre coins de la galaxie… Être libre, aller où on voulait !

Il mit cependant plusieurs secondes à comprendre l’évocation de « baiser ». Voilà un mot qu’il n’avait pas entendu souvent, juste en espionnant des conversations d’adulte quand Winter avait le dos tourné. Et quand il saisit, il devint rapidement rouge.

« O-Oh, je… euh... »

Le garçon ne savait pas trop où se mettre. Heureusement que Beowulf ne resta pas trop longtemps là-dessus, même s’il enchaina sur son père. Pendant un bref instant, il avait cru que ces deux hommes s’étaient connus… Après tout, ils semblaient nourrir cette même passion pour la liberté à bord d’un vaisseau spatial. Une chose que sa mère admirait et détestait en même temps.

« Oh, m-merci m’sieur ! Enfin, Beowulf! » s’exclama-t-il avec un sourire réellement flatté du compliment. « Est-ce que vous partez bientôt ? C’est que… je n’ai pas beaucoup de copains ici, et ma sœur n’est pas toujours là… »

Pendant un moment, le regard du garçon se perdit un peu autour de lui. C’était compliqué, tout était compliqué, mais comment l’expliquer ? Beowulf semblait être quelqu’un… peut-être pas “bien”, mais il l’aimait bien, et c’était réciproque. Plus les minutes passaient, plus il lui prenait l’idée que même s’il savait qui Anakin était réellement, il n’irait même pas chercher à le capturer et le ramener au Premier Ordre ! C’était sûrement une pensée naïve…

« N-Non c’est... »

Il se tut au milieu de sa phrase, cherchant davantage ses mots. Ce n’était vraiment pas évident…

« En fait, on a déjà essayé de m’enlever quand j’étais plus petit, alors… ma mère tient beaucoup à ce que je reste sain et sauf à la maison. Elle… n’aime pas beaucoup que je sorte. Et moi, je ne veux pas non plus rester enfermé chez moi alors que la galaxie est si vaste ! »

C’était pour cela qu’il admirait autant la vie de Beowulf : lui vivait comme il l’entendait, il allait où il voulait, il semblait fort et sûr de lui, capable de se frayer son propre chemin. Comment était-il, à l’époque où il avait l’âge d’Anakin ? Déjà sur son vaisseau, à vivre des tas d’aventures ? Oh comme le garçon l’enviait.

« Et vous savez, c’est passionnant les mathématiques. On comprend des tas de choses avec. »

Voilà bien un domaine dans lequel il avait des facilités. Comme beaucoup d’autres matières techniques que Winter abordait avec lui. C’était peut-être idiot venant d’un homme qui a déjà vu et connu un tas de choses, mais Anakin aimait l’école. Il aimait apprendre, il était un garçon curieux et intéressé, trouvant une réelle satisfaction à trouver des solutions à des problèmes imaginaires.

Il n’était pas dupe, il voyait bien combien Beowulf ne semblait pas être quelqu’un de correct, et d’ailleurs il l’avait déjà prouvé un tas de fois ! Sa mère n’apprécierait certainement pas que son fils traîne avec ce genre de personne, mais… elle ne savait même pas qu’il était ici. Anakin s’apprétait à répliquer quelque chose, répondre, mais le mandalorien fut plus rapide et tira de sa poche une petite pièce qu’il tendit au garçon.

Un tout petit objet, avec des gravures telles qu’il n’en avait vu que dans des livres. Il le prit entre ses mains, le rapprochant de son visage pour mieux le voir, mieux observer les détails. C’était une jolie pièce, avec quelques rayures qui témoignaient de la vie de Beowulf : dangereuse et exotique.

« C’est... »

Il était à court de mots, c’était bien la première fois qu’un étranger lui faisait un tel cadeau. Il en avait des étoiles dans les yeux.

« C’est vraiment pour moi ? Je… merci, c’est génial ! »

Pendant plusieurs instants il ne dit rien de plus, continuant de contempler cette pièce comme le plus beau des trésors. Alors qu’ils se connaissaient à peine, voilà que cet inconnu, ce guerrier lui proposait de venir l’aider, quels que soient ses ennuis. Anakin était peut-être encore jeune, mais il savait déjà combien il en avait, des ennuis. Combien ils étaient loin d’être finis, et combien sa famille était un sacré aimant aux mésaventures. Avec du recul, peut-être que ce n’était pas juste… Beowulf ne savait rien de tout ça, après tout. Peut-être voit-il ce garçon comme un fils de riches comme tant d’autres, et qu’il s’attendait déjà à ne pas avoir à venir car rien ne pourrait lui arriver tant il était banal. Oh, comme Anakin avait espéré l’être…

Une expression de plus en plus désolée commença à naître sur ses traits.

« Beowulf, c’est… un cadeau vraiment magnifique, mais… Pardonnez-moi, mais je ne suis pas sûr de le mériter. Je ne vous ai pas tout dit et je veux pas vous attirer d’ennuis. Je suis… Je suis... »

Le garçon garda cette pièce sous les yeux un très long moment, la faisant glisser entre ses doigts. Mine de rien, il avait toujours été habile de ses mains, et il se voyait déjà avec cette pièce, plusieurs années plus tard, comme s’il s’agissait réellement d’une relique. Ce n’était que quand il entendit le bruit de cette lame se planter dans la table qu’il redressa son regard. Cette fois-ci, les étoiles étaient parties pour laisser place à un frisson d’effroi. Un couteau ? Que voulait-il qu’il fasse d’un couteau ? Ses yeux se posèrent alors sur Beowulf : un coup dans la glotte…

Comme un réflexe, il vint poser sa main sur sa propre gorge, avant de se reculer de cette arme.

« Je… Je ne peux pas. Ne me donnez pas cela, s’il vous plaît... »

Il refusait de toucher à une arme qui pouvait blesser, voire tuer des gens. C’était contraire à tout, et honnêtement, il se savait parfaitement incapable de cela. Cette idée lui faisait peur.

« Je cours vite, ça suffira… je crois... »

Anakin ne pouvait décemment plus continuer cette conversation sans avouer qui il était. Peut-être que tout ceci prendrait un sens, et puis il avait ce sentiment de trop profiter de l’anonymat… Au début, cela lui faisait beaucoup de bien, mais à présent, c’était comme s’il mentait à cet homme qui lui avait offert un si beau présent. Bien qu’il ait sûrement fait beaucoup de mal dans la galaxie, il ne méritait pas qu’un enfant lui mente ouvertement.

« Ma… ma mère c’est… Vous la connaissez, au moins de nom, c’est… la… la générale... »

Il avait dit ces mots en baissant de plus en plus la tête, honteux et confus. Cet étranger avait sa confiance naïve, mais il redoutait vraiment sa réaction. Et si tout s’envolait ?

« Han Solo est mon père… Je suis le petit-fils de… enfin, vous savez. C’est pour ça qu’on a voulu m’enlever. C’est pour ça que ma mère préfère que je reste à la maison. Beaucoup de gens n’y croient plus, mais c’est  vrai, la Force, tout ça… C’est dans mon sang… Vous voyez ? »

Et si jamais Beowulf ne le croyait pas ? Un garçon qui raconterait des histoires pour se rendre intéressant, ça courait les rues. Ou s’il le croyait ? Il n’avait même pas le courage de lever les yeux vers lui pour voir sa réaction. Autour de lui, personne ne semblait vraiment s’intéresser à leur conversation. Tout le monde préférait garder ses distances avec Beowulf, et c’était sûrement mieux ainsi. Inutile de crier sous tous les toits son ascendance, cela aurait été le chaos. L’Empire avait fait beaucoup de mal à tous ces gens, il était difficile de savoir comment ils réagiraient s’ils avaient en face d’eux le petit-fils de Vador.

« J-Je… peux toujours garder la pièce…? » demanda-t-il avec hésitation, craignant de devoir la rendre, ou d’avoir perdu toute l’aide promise.

Évidemment, apprendre tout ça allait choquer Beowulf. Le garçon avec qui il discutait n’était pas un petit garçon ordinaire, simplement le fils de la femme la plus importante de la Résistance, le petit-fils du plus grand tyran de la galaxie. Anakin fit une moue gênée, tout en baissant légèrement la tête. Pour un peu, il aurait presque honte d’être d’une telle famille... Trop grande, trop connue, trop ciblée. La réaction du mandalorien vint quelque peu l’apaiser, surtout quand il entendit ses mots. Le garçon releva alors son regard vers lui, perplexe.

Des rigolos ? Le Premier Ordre ? Lui les trouvait particulièrement effrayants. Rien que d’y penser, il sentit un frisson le long de ses bras.

« C-C’est vrai ? » bégaya-t-il, avec un début de sourire. « Je... Je pensais que les mercenaires et les chasseurs de prime travaillaient pour le Premier Ordre. Qu’ils... leur vendaient des gens... »

Il y avait des rumeurs, parmi les soldats de la Résistance. Et personne ne semblait faire confiance à un mandalorien. Cependant, ça se voyait que le garçon était ravi d’avoir rencontré un homme qui n’irait pas le vendre à son aîné ou à ce Premier Ordre.

La pièce entre ses mains, Anakin la serra fort contre lui, comme une véritable relique protectrice. Oh oui, il était soulagé. Et heureux. Même dans un endroit aussi inconnu et dangereux, il se sentait maintenant en sécurité.

« Je vous promets que j’en prendrai soin, c’est juré ! »

Et la main du mercenaire vint ébouriffer ses cheveux... C’était idiot, mais rares étaient les fois où on lui faisait ça. Et finalement, il aimait bien : ça lui faisait comme de petits massages à la tête, bien que les mains de Beowulf étaient très grandes et pas assez délicates pour de tels massages.

« Mère ne saura rien, ne vous inquiétez pas. Est-ce qu’un jour je pourrai rentrer dans votre vaisseau ? Si je reviens demain, est-ce que vous serez là ? »

Si ça se trouvait, Beowulf partirait le jour-même, et Anakin ne pouvait pas indéfiniment rester ici, dans ce bar... Sa nourrice devait avoir certainement remarqué qu’il n’était plus chez lui, et bientôt on partira à sa recherche, craignant un nouvel enlèvement.